Je suis né le 14 juillet 1999. Officiellement, on me dit que
c’est plutôt le 16 octobre de la même année, date qui correspond au jour
de mon anniversaire de naissance dans ma vie antérieure. Quoiqu’il en
soit, je suis alors venu rejoindre ma compagne Ghislaine qui, elle, avait
entamé cette deuxième existence deux ans auparavant. Faut bien l’avouer,
la voir poser un regard aussi détaché sur les urgences reliées à sa
première vie avec autant de douceur et de sérénité me faisait saliver. Au
diable la pénalité, j’ai quitté un an avant terme après 31 ans de
gestation. J’avais trop hâte de naître.
Ma première existence fut marquée par le nombre « 2 ». Jugez-en. Je
suis le benjamin d’une famille de deux. Je me suis marié deux fois, père
de deux garçons et… grand-père de deux ravissantes petites filles. Je suis
l’auteur de deux romans jeunesses publiés chez Boréal. Au collège, j’ai eu
affaire à deux directeurs de conscience (quelle époque !) à qui j’ai donné
beaucoup de fil à retordre. J’ai fréquenté deux écoles normales (Tanguay
de Rimouski et Jacques-Cartier de Montréal) avant d’embrasser une première
carrière d’enseignant et une seconde de directeur d’école. J’ai appris
deux instruments de musique : le piano et la guitare. J’ai donné deux
concerts : l’un à Rimouski et l’autre à Bonaventure. Juste assez pour
comprendre que le glorieux me conviendrait mieux en pédagogie qu’en
musique. Voilà pour la première vie.
Je m’en vais sur mes quatre ans et
j’occupe bien mon temps. Je me suis mis plus sérieusement au golf, sport
auquel je m’adonnais une fois par année durant ma vie antérieure, soit
lors du tournoi annuel des directeurs. La pratique du tai-chi me procure
beaucoup de bien-être et de paix intérieure. Les grandes marches dans la
nature alimentent toujours bien ma réflexion. Ajoutez à cela un peu de
bicyclette et de ski de fond selon la saison.
Ma seconde vie m’amène à la découverte d’une nouvelle passion :
l’ébénisterie, ou plutôt la fabrication de meubles. Je prends plaisir à
découvrir toutes les subtilités imaginées par les anciens artisans. Ce
n’est pas nous qui avons inventé l’habileté dans l’application des
savoirs. Quel plaisir de découvrir la richesse que sous-tend l’amour du
geste. Et que dire de la patience qu’exige la pratique de cet art ; de
quoi former encore mon caractère d’Irlandais. Je me suis aménagé un
atelier et j’y passe beaucoup de mon temps.
Dans mes relations, je suis plus en quête de l’humain, la fleur de peau
et la beauté de l’âme. Plus de temps à perdre quoi ! J’ai un espace
culturel assez bien rempli et signifiant. Ainsi, j’ai troqué les
publications du Ministère de l’Éducation, les livres de statuts et
règlements de la Commission pour …des romans historiques et policiers.
Bizarre, même s’il s’agit de romans, ça me semble plus réaliste.
Enfin,
je garde la forme tant physique qu’intellectuelle pour connaître une
retraite aussi longue que mes deux carrières réunies tout en demeurant en
santé. Comme le disait un ancien des nôtres aujourd’hui disparu ( j’ai
nommé M. Roch Rheault) : « Mon objectif, c’est que la Carra ne fasse pas
d’argent avec moi. » En conclusion, je vous dirais que j’ignore combien de
vies il me reste à vivre. Je n’ambitionne pas du tout d’en vivre sept
comme les chats. Mais je ne prends pas de chance, je fais comme si c’était
la dernière. Comprenez que j’en profite au maximum.
Jacques Greene
La beauté de
l'ébénisterie ! meuble d'inspiration Louis XV |
Un autre trophée
! Une
bonnetière |